TRANSAT

J’ai 32 ans : La transat février 1991

Ca y est tout est bouclé, enfin prêt pour ce départ, je n’ai même pas peur l’envie est trop grande.

Les américains sont en passe d’envahir le Koweït, le monde  entier a les yeux fixés vers les pays d'extrême orient dont beaucoup  apprennent l’existence.

Vendredi 1^er février :

Départ de Narbonne 4h du mat j’ai des frissons. Voiture avec Bernard jusqu’à Barcelone. Vol avec escale à Tarragone. Arrivée Jerez 10h30. Dirk nous amène à PUERTO CHERRY . Mise à terre du bateau à 12h. Réparation  et essais BLU. Diverses opérations pour mise en conformité du matériel. Je suis crevé, je n’ai pas dormi la nuit dernière. Repas du soir avec Michel, Sylvie et Bernard. Un peu pénible Michel, il m’agace avec ses problèmes avec Tanguy. Couché très tôt. J’essaye d’appeler St ms pour avoir Nicole vers 23h. Ca ne marche pas. Je m’endors comme une bête.

Samedi 2 février :

Levé 9h réveil et café chaud par Michel, il est toujours speed le matin ! J’ai du boulot, encore plein de chose à faire : vidange moteur contrôles mécaniques essais de tous les appareils etc…  ce n’est pas encore les vacances…..  . Repas du midi sympa. Après midi il pleut. J’ai beaucoup d’achat à faire. Je vais avec DIRCK  mais j’en oubli la moitié. J’essaie d’avoir Nini au tel par St Lys, elle n’est pas là sniff !! Il n’est que 15h, j’essaye plus tard, pareil le mec de St Lys m’a reconnu et est sympa mais n’y peut rien. Je bricole toute l’après-midi. Repas du soir très bien façon d’au revoir presque toutes les femmes sont là. Minuit 30 au bateau à la radio j’entends l’avis de tempête dans le midi  5 bateaux au large du Roussillon sont en difficultés.   ……….. . J’ai essayé tel à 23h encore pas là re-sniff !

Dimanche 3 février :

11h30 j’arrive à avoir Nini au tel après ¾ d’heure d’attente. J’aurais été très malheureux de ne pas pouvoir la joindre ça me motive. 13h le départ : il fait très beau. Beau temps et beaucoup de bateaux tout le monde s’organise à bord. Bravo pour le cuisto. Très bon. Je n’aurais jamais pensé manger aussi bien. Nuit très calme pas de vent ou presque. Je fais mon quart avec Bernard. Je me couche à 1h du mat. J’en avais besoin la pression de départ retombe.

Lundi 4 février :

Je me lève à 11h. Super j’ai récupéré. Il fait beau, pas froid. Repas du midi très bon. Ça réconforte tout le monde. Après-midi calme. La pêche ne marche pas du tout, rien. Je téléphone à St Lys. J’ai Pierrot Calmette. J’appelle le bureau à Toulouse. Tout va bien j’espère que Nini sera tenue au courant.

Mardi 5 février :

Très beau temps. Repas du midi dehors en tee-shirt. La pêche ne marche toujours pas je me désole, enfin ça viendra. Après-midi sans vent couvert BLU avec Anne Marie. Elle a pu donner des nouvelles à tout le monde. J’espère que Nini ne se fait pas de soucis. Je pense à elle et à Marlyne. Elles me manquent déjà. .

Mercredi 6 février :

J’ai dormi toute la journée. Il ne fait pas beau. Un peu frais, temps gris. Difficultés pour appeler en radio. Je vais dormir au total 18h sur 24 c’est pas mal. Donc pas grand-chose à raconter.

Jeudi 7 février :

Levé 10h. 13h on arrive à communiquer avec le bureau à Toulouse. Il neige là-bas et il fait froid. Ici très beau temps mais température un peu basse. On marche bien sous spi on s’est recalé par rapport à la bonne route. Nous sommes entre MADERE et les CANARIES. Il y a très peu de bateaux rien en vue, encore moins de poissons. Enfin on mange très bien, ça compense.

Vendredi 8 février :

On descend aux prés vers les îles Canaries.  Le bateau marche bien. Temps couvert et un peu de vent. Ce n’est pas drôle. Premier thon péché ce n’est quand même pas folichon.

Samedi 9 février :

Nous sommes au large des Canaries. On aperçoit les côtes très loin. Dernières Terres avant le grand océan. Il y a quelque part quelque chose d’angoissant mais tout ce passe bien. J’ai confiance et je suis sur que c’est une expérience qui mérite d’être vécue. Le quart de nuit est pénible. Nous sommes dans le noir total, pas de lune pour nous éclairer. Beaucoup de vent et de vagues. Notre classement n’est pas super, beaucoup de bateau ont pris une route plus ouest et sont donc physiquement plus proches de la cible. 3 touches en pêche infructueuses

Dimanche 10 février :

Le temps s’améliore, nous faisons une route plus ouest toujours au prés. Au diné on mange le seul thon péché, c’est très bon. Décidemment l’assureur assure aussi en cuisine. Je fais mon quart avec Ortwin. C’est maintenant une personne que j’admire beaucoup pour toutes ses qualités et sa façon de voir les choses. Il est intarissable. La nuit nous discutons pendant 3h. J’ai Nini en BLU. Je suis un peu ému ça fait drôle d’être si loin, je pense souvent à elle et Marlyne. J’ai un réchauffement au cœur après cet appel et les languis un peu plus…

Lundi 11 Février :

Très beau temps, température extérieure très chaude, beau soleil, nous sommes au niveau du Sénégal. Je me douche à l’eau de mer,  Il n’y a pas  trop de vent mais nous avançons bien notre classement et beaucoup mieux.  C’est moi qui m’occupe des trafics radios. Malé me dit que notre option de route sud commence à payer. Nous sommes 4 ^ème. Ca motive tout le monde.

Mardi 12 février :

Toujours quatrième  au classement, malgré avoir dépassé un autre bateau. Le jour d’avant, le bateau n’avait pas donné sa position. Je pêche un thon, ca va faire un repas de plus. Il fait beau. Le matin grand nettoyage du bateau. Enfin les Alizés sont établis un peu fort mais ça nous permet d’accélérer notre vitesse. 8 à 9 nœuds  de moyenne sous spi ca remue mais ca marche…

Mercredi 13 février :

Anniversaire d’Ortwin. Il fait beau. Quel bel anniversaire pour lui qui est dans son élément, la mer, le bateau, les copains … . Il reçoit des messages qui visiblement le touchent beaucoup. Les repas sont améliorés pour l’occasion, champagne et foie gras.

Jeudi 14 février :

Même temps qu’hier. Journée tranquille. Au classement on est 4 ème au général, c’est pas mal.

Vendredi 15 février :

Mauvaise mer, beaucoup de creux et de vent. Les Alizées ne sont pas cléments Le bateau roule beaucoup. J’appelle Nini vers 20h30, ça ne répond pas… L’océan est très beau. Il règne ici une impression de grandeur et de puissance, des éléments qui fascinent. Rien à voir avec notre mer Méditerranée.  C’est très difficile à expliquer mais lorsque l’on est rendu à la réalité, nous sommes sur 5000 mètres d’eau et à au moins  3000 km d’un continent,  les grandes failles de l’Atlantique sont sous nous. L’expérience valait d’être vécue. Je suis dans un monde qui me fascine et m’excite à la fois. La nuit le ciel est magnifique, les étoiles sont jusqu’à se poser sur l’eau. C’est géant, même sans lune une luminosité existe. J’ai dans la tête des images que je ne reverrais nulle part ailleurs et qui sont trop difficile à expliquer. C’est beau !!!

Samedi 16 février :

Mer très forte et vent à 30N. On bat les records de vitesse sous spi  16nds dans les surfs. Ce n’est pas très agréable ni confortable,  le bateau roule beaucoup. Les quarts de nuit sont agités  je fais toujours équipe avec Ortwin. Tout se passe très bien dans l’ensemble, le bateau est très bien. J’ai Nini au tél un petit chaud au cœur...

Dimanche 17 février :

8h30 le matin gros pépin. La bôme est cassée en deux morceaux. Une vague à eu raison du matos le bateau s’est couché  et crac On croise le premier cargo à 9h. Nous n’en avions pas vu depuis les canaries. Je travaille toute la journée à réparer le profil en aluminium… . C’est pas facile et très physique avec le roulis du bateau. La première réparation cassera aussitôt, tout est à refaire. Je trouve une solution plus sûre. A 17h tout est en ordre. Le soir je me couche très fatigué.

Lundi 18 février :

Beau soleil, c’est plus calme. Nous avons perdu du temps hier mais sommes toujours bien placés. Les grains de l’atlantique sont magnifiques. J’espère que les quelques photos que j’ai faites permettront de ne pas oublier ces tableaux.

Mardi 19 février :

La lune fait son apparition. Elle illumine le ciel, il a des milliers d’étoiles. Son quartier est horizontal. Original, il n’y a qu’en mer que le ciel peut être jugé à sa juste grandeur. Il n’a qu’ici que la croix du sud et la polaire sont visibles. Je le répète, c’est beau. Sinon tout va bien, nous sommes sur le rail des alizés 35 à 30nds de vent dans des creux de 3 à 4 m. Ca& marche vite, l’ambiance est bonne à bord, ca flemmarde et tout est bon pour déconner.

Mercredi 20 février :

L’eau est à 24°. C’est super pour la toilette du matin sur le pont …… il fait chaud. Nous vivons à l’heure internationale TU donc 1h de moins qu’à Paris. Le soleil se lève à 9h30 TU et se couche à 20h. Les matinées au lit jusqu’à 11h sont donc justifiées. Bientôt l’arrivée, ça se sent. J’ai envie et j’ai pas envie. 15j de mer de plus ne me dérangeraient pas.

L'EXPERIENCE

Il y a des choses qui ne se racontent pas, tout ce que je viens de vivre est fabuleux. Je crois ne pas pourvoir le faire partager à quiconque, c’est pour ça qu’ici je n’en parle pas. Tout ceci est resté ancré en moi. Je veux pouvoir un jour connaitre à nouveau tout ça peut être dans d’autres lieux avec surement d’autres gens. Mais avec la même motivation et les mêmes éléments ; l’air, l’eau et le ciel.

J’ai appris…

Que la vie doit être faite de ça,

Que Marlyne est un peu de moi. Elle me manque,

Qu’elle pourra toujours compter sur moi,

Que je suis bien seul face à moi-même,

Que je veux faire des choses biens,

Il ne suffit pas d’être peintre pour faire un tableau, il faut surtout avoir des images dans sa tête.

Si j’avais à résumer cette traversée en 3 moments forts :

- 1h en haut du mat ; plus d’horizon, la mer se mélange au ciel… tout est bleu, je suis à 22 mètres au-dessus du pont. Le bateau roule, je sens le vent et me déplace sur 15m en latéral.

- Le bateau s’est couché c’est la merde… casse… on n’est pas les plus forts.

- Les moments d’isolement, en recul sur moi-même, je réalise.

Je pense avoir tout vu… les baleines, les dorades coryphènes…, les reflets marron, verts c’est génial. La grande houle de l’atlantique. 4, 5, 6m de creux c’est impressionnant mais c'est aussi plaisant. Les levés et couchés du soleil, le ciel la nuit, le pain que j’ai fait avait un gout que je ne retrouverais plus jamais et pourtant j’ai l’impression que je n’ai rien vu qu’il y a encore d’autres choses .

L'océan est changeant , il se plie aux frasques du temps , la houle enroule indéfiniment l'eau qui le couvre sans qu'a aucun moment il ne ressemble à aucune chose , il est unique et pourtant tellement différent.

Rien n'est tranquille , si la quiétude règne, il va se passer quelque chose, la mer ne dors jamais, elle attend le brin de vent, l'apparition du soleil, l'obscurité qui l'envahit , elle regarde elle est prête, prête à se mélanger à accompagner le moindre phénomène qui sera le début d'un nouvel épisode. 

Il faut savoir regarder, écouter , sentir et ressentir, les trois sens prennent toute leur importance et l'émotion est de la partie ... tout ça je l'ai appris...